Les mots peuvent tuer©

La maltraitance psychologique… Les fractures invisibles.
"Au delà des apparences" - Huile sur toile

« Au delà des apparences » Huile sur toile 70 x 100

La maltraitance psychologique est invisible…. En cela, elle n’en est que plus dangereuse au regard des fractures, bleus ou brûlures que peut laisser la maltraitance physique.

Vous comprendrez qu’une personne blessée à répétition attire l’attention et que cette victime aura donc « la chance » de pouvoir être secourue. En l’absence de lésions ou de séquelles objectives, cette forme spécifique de maltraitance est donc plus difficile à diagnostiquer. Les troubles présentés par l’enfant ne sont pas toujours cliniquement significatifs et se retrouvent dans d’autres tableaux psychopathologiques. L’inhibition psychoaffective, l’anxiété dépressive, l’idéation suicidaire, les sentiments d’infériorité, les problèmes de comportements, l’agressivité et les retards pédagogiques inexpliqués sont autant de troubles interférant avec la structuration de la personnalité, l’individuation et la socialisation de l’enfant. Selon Pascal Vivet qui a écrit sur l’enfance maltraitée « les agressions verbales, les dévalorisations systématiques, les humiliations des enfants concernant notamment leur niveau scolaire, leur apparence, leur physique, leurs capacités intellectuelles, bref tout ce qui remet en cause leur intégrité font partie des violences psychologiques courantes ». L’enfant qui subit quotidiennement cette violence parentale se sent nié dans sa personnalité, son identité par ceux précisément dont il est en droit d’attendre en priorité une affection et un soutien. « Je me souviens d’un père qui ne supportait pas sa fille. Il la traitait en permanence de pute, de salope », raconte Christian Besnard, psychologue près la Cour d’appel de Rennes et psychologue hospitalier. Quand on l’interrogeait sur son comportement, ce père répondait : « ce ne sont que des mots ». Justement, « on peut tuer avec des mots ». souligne Jacques Lecomte.(Voir documentation) Au nom de principes éducatifs ou moraux, certains parents exercent un pouvoir sur leur enfant, sans jamais avoir à frapper. « Je ne suis pas violent, je veux juste me faire obéir », arguent ces adultes qui estiment avoir tous les droits sur leur enfant ; ils appliquent ainsi à la lettre l’article 371.1 du Code civil : « L’enfant à tout âge doit honneur et respect à ses père et mère ». « Il aura fallu attendre la Convention internationale des droits de l’enfant pour faire admettre que les enfants ont aussi des droits », estime Christian Besnard, Psychologue et expert-judiciaire.

La violence psychologique peut également s’exprimer sous la plus grande douceur. Le chantage affectif permet à l’adulte d’imposer sa volonté ou de poser des interdits à l’enfant « pour son bien », ou parce que cela fait « trop de peine ». La manipulation est une arme sournoise qui permet d’exercer un pouvoir sur l’autre, souvent plus faible que soi et qui est fréquemment utilisé . « Puisque tu me fais de la peine, je ne t’aime plus » « Si tu ne fais pas ce que veux, je te renierais »… Certains, incapables de distinguer les affects de l’argent et pour obtenir satisfaction, en arrivent à faire pression sur l’enfant en les menaçant de les déshériter ! A 12 ans, cela ne représente rien en terme d’argent, mais le message « d’abandon », accompagné de l’insécurité affective, est clairement perçu. Par peur de perdre l’amour de son père ou de sa mère, l’enfant va « se plier » aux exigences et accepter ce qu’il ne veut pas. A répétition, cet enfant devenu adulte, va « se modéliser » en individu apte à répondre aux demandes qui ne lui conviennent pas, pour fuir l’angoisse de ne plus être apprécié ou aimé !…Et non pour l’argent !

Pour exemple, cette mère qui, sachant son fils alcoolique-abstinent depuis 9 mois, n’accepta pas une de ses remarques et lui envoya une lettre « assassine » faite de reproches et de grossièretés, qu’elle termina par « tu n’as déjà plus de père, et bien maintenant, tu n’as plus de mère ».Certains diront que ce ne sont que des mots !…Mais il faut aussi reconnaître le sentiment d’abandon qu’ils induisent et l’angoisse qu’ils provoquent. Nous pourrions traduire cette phrase par : « Puisque tu ne corresponds pas à ce que j’attends de toi, tu n’es plus mon fils…Et, je ne t’aime plus. » Voilà ce qui laisse des marques indélébiles et douloureuses, au point de faire rechuter son fils dans l’alcool pour en mourir un an plus tard ! L’enfance de cet homme pourrait illustrer ce qu’une maltraitance psychologique insidieuse et répétitive peut provoquer. Quant à ses parents, le déni de leur délit se cache derrière « l’éducation » ! (A lire dans un prochain article)

Le rejet s’exprime par le fait de rabaisser l’enfant, de dévaloriser sa personne et ses actes, par le fait de lui faire honte ou de tourner en ridicule ses manifestations normales d’affection, de chagrin ou de peur. Terroriser l’enfant consiste à le menacer ou à avoir des comportements pouvant induire de blesser, tuer, ou abandonner – des personnes qu’il aime ou des objets auxquels il tient – dans des situations objectivement dangereuses. Le recours au rejet, à la terreur, à l’isolement, et au refus de réponse affective constituent les principales catégories de violence psychique repérées par l’APSAC (American Professional Society on the Abuse of Children).

Un enfant qui est en permanence nié, rabaissé est plus en danger sur le plan psychique qu’un enfant qui se fait régulièrement frapper . En effet, ce dernier peut construire son identité tout en prenant des coups parce qu’il peut en attribuer la responsabilité à l’adulte. « Dans son univers, l’enfant tient un raisonnement binaire : il y a les méchants qui tapent et les gentils qui ne tapent pas ». Quand il est victime de violences physiques, « l’enfant parvient assez facilement à se dire que c’est le parent qui ne va pas bien », précise Jacques Lecomte. En revanche, « il est difficile à l’enfant qui est régulièrement humilié, critiqué, insulté, mais non frappé par son parent, d’attribuer à ce dernier la responsabilité de ces vexations. Il a alors tendance à tenir plus ou moins inconsciemment le raisonnement suivant : « mon père (ma mère) n’est pas « méchant » puisqu’il ne me frappe pas. S’il me répète continuellement que je ne vaux rien, que je ne saurai jamais rien faire dans la vie, c’est donc vrai ». Dans ces conditions, « l’enfant intègre bien plus profondément un sentiment d’inutilité, d’absence de valeur que l’enfant physiquement maltraité ». Comme l’enfant maltraité psychologiquement est dans l’incapacité d’attribuer la responsabilité de cette violence à ses parents, il se sent coupable de ce qui lui arrive. « L’enfant pense que s’il est nié par ses parents, c’est parce qu’il ne correspond pas à leurs attentes, à leurs désirs. Si on lui répète qu’il est nul, bon à rien, l’enfant l’intègre et se sent coupable de ne pas être à la hauteur », explique Christian Besnard. Tout est donc de sa faute ! Il est alors pris dans une sorte de culpabilité névrotique

Cette culpabilité est d’autant plus forte que l’enfant ne peut en aucun cas remettre en question la parole de son parent ; il a trop peur de perdre son amour !

L’enfant victime de violences psychologiques, qui pense être privilégié par rapport aux enfants battus, vit dans un mal-être permanent : « moi au moins on ne me bat pas ». Aussi, cet enfant culpabilisé a moins de probabilité de se ressentir comme victime, alors qu’il l’est.

« Au cours de mon enquête, raconte Jacques Lecomte, « une femme d’une cinquantaine d’années m’a décrit une longue liste de maltraitances psychologiques qu’elle a subies, puis a conclu par ces mots : « mais c’est vrai que je n’ai jamais été maltraitée ». « Or, pour se reconstruire », explique-t-il, « un enfant traumatisé a besoin d’être reconnu comme victime, d’être entendu dans sa plainte. Or, certaines personnes ne parviennent pas à sortir du statut de la plainte parce qu’elles ne sont pas parvenues à y entrer ». « Ce n’est pas si grave que ça, de quoi je me plains ?», pensent-elles souvent.

Dans l’esprit d’un enfant, l’équation est la suivante : père ou mère = bienveillance. Si je reçois de la bienveillance et que j’ai mal -> c’est moi qui ne vais pas bien !

Arriver à se reconnaître comme victime, c’est reparamétrer la base en acceptant que, père ou mère, et parfois les deux, peuvent être source de douleur. Cette souffrance est d’autant plus difficile à être exprimée qu’elle n’est pas toujours reconnue. « L’instituteur se pose des questions quand il voit arriver à l’école un enfant avec des bleus ; en revanche, celui qui n’a pas d’hématomes mais qui est maltraité psychologiquement chez lui peut être triste, silencieux, sans que personne ne s’alerte », précise Christian Besnard. Pour tenter d’échapper à cette souffrance qu’il ne peut pas exprimer, l’enfant risque de passer à l’acte, de façon parfois dramatique. « Récemment, un enfant qui n’avait jamais été signalé à la justice a été découvert pendu à un arbre. Ce n’était pas un accident. L’enquête a révélé que cet enfant était victime de brimades incessantes de son père ». Une étude récente démontre que la maltraitance infantile accroît les risques de suicides, surtout à l’âge adulte (voir documentation). Ces enfants qui ont été maltraités psychologiquement « sont aussi ceux qui ont le plus souvent une vision négative de leur avenir et du monde en général ; les idées suicidaires parasitent leur évolution ». Selon une « étude menée après de 512 étudiant (e)s », raconte Jacques Lecomte, « ceux qui avaient été psychologiquement négligés, dans leur enfance, étaient plus nombreux à souffrir d’anxiété, de dépression, de somatisation, de paranoïa et d’hostilité que ceux qui avaient été seulement maltraités physiquement ». Les enfants qui n’ont pas été reconnus comme sujets par leurs parents risquent également, à l’âge adulte, de perpétuer des liens de dépendance à travers les conduites addictives (nourriture, alcool, drogue…) pour tenter d’exister.

Valérie RENOUX